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Donald Trump et Jérusalem : une décision inutile et dangereuse


Avant d’en venir au fond des choses ou, du moins, d’essayer d’exprimer une opinion dépassionnée et rationnelle, je crois utile d’établir d’où je parle . Cela tient en trois points. Premièrement : j’ai été, je suis et je resterai un indéfectible ami d’Israël, pays où j’ai vécu dans ma jeunesse et auquel me rattachent une partie de mon histoire familiale et de nombreuses et précieuses amitiés. Deuxièmement : je pense que Jérusalem est évidemment la capitale de l’Etat juif ; mais cette ville étant ce qu’elle est, elle n’est pas « que » cela. Troisièmement : j’ai été, je suis et je resterai partisan de la seule solution raisonnable au conflit israélo-arabe, une paix à deux Etats, l’un juif et l’autre palestinien ; je rejoins ainsi la position qui est celle de nombreux amis que j’ai dans les milieux de sécurité, de renseignement et militaire israéliens, position clairement exprimée par certains d’entre eux, il y a quelques années dans un passionnant documentaire, The Gatekeepers.

Ayant ainsi souligné, je l’espère, que je ne suis ni un ennemi d’Israël ni un ultra-sioniste fanatique, je peux maintenant aborder l’actualité brûlante de ces dernières heures.

Ce 6 décembre, le président Donald Trump a, donc, reconnu officiellement Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et annoncé le futur déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à la ville sainte. Il s’agissait simplement, a-t-il déclaré, de reconnaître « une évidence », une « simple admission de la réalité ».

Quelques mots, d’abord sur la décision elle-même. Quoique que l’on puisse lire ici ou là sur les médias sociaux, et bien qu’il s’agisse de la réalisation d’une promesse de campagne, cette reconnaissance n’est en rien une simple foucade du Président : elle n’est que l’application d’une loi qui avait été largement votée au Congrès dès 1995 et qui imposait le transfert de l’ambassade mais qui ne s’était jamais concrétisée. La décision était, en effet, reportée tous les six mois, depuis 22 ans, par tous les prédécesseurs de M. Trump au nom de la « sécurité nationale ». On observera d’ailleurs que nombre d’élus démocrates ou républicains ont approuvé la décision de Donald Trump. Le Président a dans le même temps et comme ceux qui l’ont précédé dans le Bureau ovale, mais, cette fois dans la plus grande discrétion, reporté le transfert de six mois. Son entourage a fait savoir que, dans les faits, le déplacement de l’ambassade prendrait plusieurs années. Cette décision est donc purement symbolique et ne devrait entraîner, dans l’immédiat, aucune conséquence matérielle réelle. Dernière précision, les Etats-Unis ne sont pas la première grande puissance à reconnaître le statut de capitale de Jérusalem : dans une déclaration passablement alambiquée, Moscou avait, en avril 2017, affirmé « considérer Jérusalem-Ouest comme la capitale de l’Etat israélien » …

Cette évolution de la position traditionnelle américaine était-elle nécessaire ou, tout simplement, utile ? Je ne le crois pas. Une capitale, nous apprend le Larousse, est une « ville où siège le gouvernement un Etat ». Or, le gouvernement et le parlement israéliens siègent bel et bien à Jérusalem, ainsi que de nombreuses institutions officielles (mais, remarquons-le, ni l’état-major de l’armée ni les services de renseignement extérieurs (Mossad) et les services de sécurité intérieure (Shabak), dont les principales installations et les quartiers généraux sont toujours logés à Tel-Aviv…) Jérusalem EST donc la capitale d’Israël. Si aucun Etat ou presque ne reconnaissait officiellement cet état de fait, il était, officieusement totalement accepté. En témoigne entre autres le fait que plusieurs chefs d’Etat (voire de gouvernement) se soient adressés à la Knesset (Parlement) en session à Jérusalem, notamment, pour n’en citer que quelques-uns : François Mitterrand (1982) ou David Cameron (2014) en passant par Bill Clinton (1994), Georges Bush (2008), Nicolas Sarkozy (2008) Angela Merkel (2008) et, bien entendu, l’Egyptien Anouar el-Sadate (1977). C’est également à Jérusalem que tout visiteur politique important s’entretient avec le Premier ministre israélien ou avec l’un ou l’autre membre du gouvernement. Du point de vue purement pratique et fonctionnel, Jérusalem est donc reconnue, de facto, comme capitale par les pays entretenant des relations diplomatiques avec l’Etat hébreu. Dès lors, rétorquera-t-on, Donald Trump n’a-t-il pas raison de rompre avec cette « hypocrisie » ? Non, car les relations internationales sont tout sauf un concours de sincérité et la transparence n'est pas toujours, en ce domaine, gage d'efficacité. Une décision inutile, donc.

Mais quelles seront les conséquences de la décision annoncée aujourd’hui par Donald Trump ? La première est politique : elle va isoler les Etats-Unis sur la scène du Moyen Orient et fortement compliquer d’éventuelles tentatives d’être un acteur écouté dans le processus de négociations et, au-delà, elle gênera ou détériorera les relations de Washington avec les mondes arabe et musulman. En clair, Washington risque de voir réduite à néant, ou presque, son influence dans cette partie du monde. Une mauvaise nouvelle pour l’Amérique, mais une bonne nouvelle, peut-être pour la France et l’Union Européenne – si tant est que Paris et Bruxelles puissent vraiment jouer un rôle dans ce sac de nœud qui, depuis un demi-siècle a épuisé trop de bonnes volontés - ou la Russie qui pourrait accroître son influence régionale, et même pour la Chine si elle se décidait à s’impliquer davantage dans les affaires politiques du monde. Nous verrons ce qu’il en sera.

D’un point de vue sécuritaire, les symboles étant d’un poids tout particulier dans cette région du monde (que l’on se rappelle du tumulte et des morts provoqués naguère par l’affaire des caricatures du Prophète), cette évolution risque d’exposer dangereusement les intérêts américains (et occidentaux) dans toutes la région. Elle pourrait, également, provoquer une nouvelle intifada (ce n’est pas certain, mais possible, et souhaité par un grand acteur régional comme l’Iran). Elle pourrait, enfin, donner un nouveau souffle à l’Etat islamique, à al-Qaïda ou aux Frères musulmans d’Egypte et déclencher une nouvelle flambée de terrorisme global, et pas seulement dans le monde arabe.

Last but not least, elle fragilisera davantage encore les pays arabes entretenant de bonnes relations, voire des alliances, avec Israël (je pense notamment à l’Egypte et à la Jordanie) et les Etats-Unis.

Bien entendu, rien n’est écrit ni inévitable. On peut toujours rêver et se dire que Washington, après avoir fait ce cadeau inespéré au gouvernement de Monsieur Netanyahu, se trouvera désormais en bonne position pour imposer des concessions à Jérusalem et forcer la reprise de négociations de paix moribondes voire, qui sait, de permettre à Donald Trump de réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué : être l’homme qui amènera la paix à deux Etats à laquelle le Président américain a affirmé être toujours attaché. Seulement, pour arriver à un tel résultat il faut une volonté (elle existe peut-être) mais aussi une stratégie, une vision à long terme et une grande persévérance dans l’effort. Trois choses dont je ne suis pas certain que M. Trump soit doté.

Au final donc, pour une décision purement symbolique qui était à la fois inutile et extrêmement risquée des points de vue politique et sécuritaire, Donald Trump risque de provoquer un nouvel embrasement dans une région du monde où, déjà, ne manquaient pas les sujets d’inquiétude. En langage vulgaire on appelle ça se tirer une balle dans le pied ou, encore, jouer avec le feu.

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