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Sur les « Fichés S », le « suivi » des terroristes et leur surveillance: quelques notions de base


Nous avons lu et entendu, ce weekend, énormément de choses sur cette « Fiche S » qui revient à la une à chaque attentat commis sur le sol français, ou presque. Un grand nombre de ces propos sont tenus par des gens qui n’y connaissent rien ou pas grand-chose (y compris, malheureusement, dans le monde politique...) ou encore qui utilisent cet argument pour décrédibiliser l’action des « services » ou celle de l’Etat en matière d’antiterrorisme.

La question que se posent donc, de bonne foi, nombre de nos concitoyens est, dès lors : « X était fiché S, donc surveillé. Comment a-t-on pu le laisser passer à l’acte ». Très bonne question. Mis à part qu’elle repose sur une erreur fondamentale : la Fiche S n’est pas synonyme de surveillance. Et, par ailleurs, elle n’est pas comme l’écrivait ce matin dans un tweet l'excellent parlementaire européen Arnaud Danjean, « l’alpha et l’oméga des services de contre-terrorisme ».

Revenons donc, pour clarifier le débat, sur quelques notions de base.

La Fiche S, d’abord. Elle ressort du Fichier des Personnes Recherchées (FPR), outil de la Police Nationale placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. L’ensemble du FPR compte des centaines de milliers d’entrées individuelles. Ces fiches FPR reprennent l’identité de la personne (quand elle est connue), ses alias éventuels, une photographie (quand on en dispose), les faits pour lesquels la personne est recherchée, et la conduite à tenir à son égard. Par exemple : interpellation immédiate, contrôle en profondeur et recherche d’objets ou substances pouvant être liées à la commission d’un délit ou à un crime, identification des accompagnants ou simple signalement de passage.

Les sujets y sont classé par catégories – évadés, délinquants et criminels recherchés, mineur en fugue, personnes disparues, etc. – et le FPR fait l’objet, chaque, année, de plusieurs dizaines de millions de consultations par les personnels autorisés (police, gendarmerie, douanes...).

La Fiche S est l’une des catégories du FPR et recense les personnes présentant un risque potentiel pour la Sûreté de l’Etat, soit, entre 20 000 et 25 000 personnes. Ce fichage particulier est, le plus souvent, alimenté par la DGSI. Contrairement à ce que l’on entend dire depuis trois jours, l’ensemble des fichés S ne sont donc pas recensés pour faits liés à l’islam radical : les radicaux fichés S ne sont « que » 12 000 à 15 000. Les autres sujets ayant l’honneur d’un tel recensement peuvent être des agents d’une puissance étrangère, les sympathisants d’un mouvement terroriste non islamiste (PKK, FLNC), des zadistes, des militants de l’ultra-droite ou gauche, etc.

Signalons encore que nombre de fichés S n’ont jamais commis de délit (et encore moins de crime) et sont simplement répertoriés à des fins de « suivi ». Enfin, le degré de dangerosité des fichés varie : on peut retrouver parmi eux un jeune homme qui a tenté à plusieurs reprises de gagner un terrain de djihad comme un imam s’étant « contenté » de proférer des prêches de haine, voir même un individu ayant simplement fréquenté régulièrement un suspect.

La Fiche S n’est pas le seul outil permettant le suivi des radicaux. Il faut aussi signaler, entre autres, l’existence du Fichier des Signalés pour la Prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) géré par l’UCLAT. Au printemps 2017, le FSPRT comptait environ 16 000 et 17 000 fiches, soit environ 50% de plus que dix mois auparavant. Précision : Fichier S et FSPRT ne se recoupent pas spécialement : on peut être « S » mais pas FSPRT….

Dernier point: tout fichier, surtout quand il devient pléthorique, génère des erreurs qui compliquent son utilisation: encodage de la même personne sous deux noms différents, erreurs orthographique faisant que la fiche ne correspond plus à une personne (la translittération d'un nom d'origine arabe, par exemple, ne sera pas la même en français, en anglais ou en allemand) , personnes décédées et non retirées du fichier, etc.

Passons maintenant au « Suivi ». Ainsi donc, les fichés S seraient « suivis » par les services de renseignement. En entendant cela, la majorité des Français doivent penser qu’ils sont « surveillés ». Rien de plus faux. Ils font, de fait, l’objet d’un « suivi » (avec une évaluation plus ou moins régulière de leur évolution et de leur dangerosité, qui peut aboutir à une destruction de la fiche si l’individu ne s’est plus signalé depuis un certain temps…) puisqu’ils ont été « fichés ». Mais ce document est un simple instrument de travail qui permet, au cours d’une enquête, de savoir que telle personne interpellée est « connue » pour telle raison et est en relation avec telle autre dans telle région, etc. Au passage d’une frontière européenne ou lors d’un banal contrôle de police ou de gendarmerie, la fiche S, permettra de savoir que tel sujet se trouve ou se rend à tel endroit et qu’il est accompagné de telle autre personne. Ni plus ni moins.

Sur ces fichiers, quelques milliers de personnes font l’objet d’une attention plus régulière parce que considérées comme potentiellement dangereuses : entre 2000 et 4 000 personnes seraient dans ce cas en France.

Venons-en, enfin, à la « surveillance ». Je l’ai dit et répété depuis des années (et je suis loin d’être le seul), une surveillance comme l’imagine le public (c’est-à-dire une attention permanente, y compris physique et portant également sur les moyens informatique et la téléphonie de l’intéressé est rigoureusement impossible dès que l’on parle de plusieurs milliers de personnes. A fortiori s’il s’agit d’un XH (inconnu de sexe masculin) ou d’une XF, dont il faudra, de surcroît, découvrir l’identité.

Pour surveiller de la sorte un seul sujet, entre 25 et 40 fonctionnaires seraient nécessaires sur le terrain, plus un certain nombre d’autres pour exploiter les interceptions techniques ou coordonner le tout. Un simple calcul démontre cette impossibilité. Pour suivre de la sorte l’ensemble des Fichés S, il faudrait entre 300 000 et 500 000 fonctionnaire (!!). Pour appliquer le même traitement aux quelques milliers de personnes potentiellement susceptible de passer à l’acte (admettons toujours qu’ils soient deux mille en France), ce sont entre 50 000 et 80 000 fonctionnaires qui seraient requis. Et pour aggraver la migraine, notons que, si un passage à l’acte imminent est suspecté mais que l’on ne sait où se trouvent les moyens de la commission de l’attentat (armes ou explosifs), il faudra placer sous une surveillance identique toute personne entrant en contact avec la cible…

Or, sans trahir le secret, les capacités de surveillance simultanées, en France, permettent de suivre une poignée de centaines de personnes. Idem pour les interceptions techniques.

Les fichiers n’apparaissent donc, in fine, que comme un moyen parmi d’autres, un outil « de mémoire » à employer avec d’autres méthodes : recours aux informateurs, échange avec des « services amis » étrangers, attention extrême à l’évolution des situations sur les terrains extérieur, exploitation des données saisies dans d’autres dossiers ou sur des terrains de djihad, écoutes et interceptions, observations des réseaux sociaux, et analyse psychologique pour n’en citer que quelques-uns. Et, toujours : trier, confronter, analyser. Et puis recommencer. Et, un jour, décider…

Un travail de fourmi qui a permis d’éviter des dizaines d’attentats en Europe (et en France) depuis 2015, mais qui, malheureusement, n’offre aucune garantie à 100%....

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