Vendredi soir, au moment où j’écris ces lignes, quelques centaines d’étudiants de Sciences-Po et de militants d’extrême-gauche qui n’ont rien à voir avec le monde universitaire sont réunis devant la prestigieuse école de la rue Saint-Dominique. Ils prétendent proclamer leur soutien à la « Palestine », ils ne font en fait que démontrer leur haine d’Israël. Et des Juifs.
Comment interpréter autrement ce qui se passe depuis des mois en France ? Comment comprendre autrement un slogan aussi sinistre que « Du fleuve à la Mer, la Palestine sera libre ! ». Nombre de ceux qui reprennent, stupidement, ce cri seraient évidemment bien en peine de dire que le fleuve, c’est le Jourdain et la Mer, la Méditerranée. Autrement dit qu’aux côtés d’un futur Etat palestinien (dont l’existence m’a toujours semblée légitime), il n’y a pas place pour un Etat juif. Exit, donc Israël. Quand aux millions de Juifs qui y vivent, et certainement un grand nombre de chrétiens israéliens (ils sont au moins 150 000) ou de membres d’autres minorités (je pense, par exemple, aux 120 000 Druzes), on imagine qu’ils auront le choix entre la valise et le cercueil. Ce slogan est donc génocidaire. Ni plus ni moins.
Antisémitisme encore quand on intimide les étudiants juifs ou même quand on les empêche de participer à une « assemblée générale », comme ce fut le cas il y a quelques semaines ou encore quand on tague sur un mur que tel ou tel étudiant juif est « un toutou de l’Etat terroriste d’Israël ». Antisémitisme enfin quand les activistes réclament la fin de tous les partenariats avec l’Etat hébreu ou remettent en cause la présence de certains enseignants.
Méfions-nous cependant des miroirs déformants. Même si le niveau des études a, de l’avis de beaucoup, considérablement baissé depuis des années, ce à quoi on assiste depuis des jours n’est sans doute pas le reflet de la réalité de cette école (du moins, je l'espère...). L’IEP compte environ 14 000 étudiants. Les manifestants ne sont qu’une poignée. Quelques centaines, dont beaucoup, je l’ai dit, ne suivent pas les cours.
Mais ce qui se passe aujourd’hui est loin d’être un évènement isolé. C’est plus simplement, et plus tragiquement, un paroxysme dans la montée vertigineuse et terrifiante de l’antisémitisme à laquelle on assite en France et ailleurs depuis le 7 octobre.
Le 9 octobre, deux jours à peine après le pogrom, alors que les opérations antiterroristes de Tsahal n’étaient pas encore terminées dans le sud d’Israël et que le décompte précis des corps n’avait même pas encore débuté, des manifestations « propalestiniennes » s’organisaient en France (à Lyon), au Royaume-Uni (à Londres) et dans d’autres villes européennes, nord-américaines ou australiennes.
Je n’utilise évidemment pas par hasard les guillemets : il est tout à fait légitime de manifester sa solidarité avec les Palestiniens et de réclamer des droits égaux et un État viable pour ce peuple. Mais défiler « au nom de la Palestine», 48 heures à peine après le pire massacre de Juifs depuis la Shoa, sans montrer une once d’empathie pour les victimes et sans la moindre condamnation du Hamas – qui est pourtant une « organisation terroriste», désignée comme telle par l’Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Australie et le Japon, et même interdite par la Jordanie et l’Égypte – témoigne pour le moins d’une regrettable indignation sélective et pourrait être considéré, au pire, comme un cas de délit d’apologie du terrorisme.
Une interrogation particulière s’impose à tout observateur objectif. Comment se fait-il que le conflit israélo-palestinien suscite tant d’émotions exacerbées ? Quelles obscures passions sont-elles à l’œuvre pour jeter dans les rues des foules de manifestants dont beaucoup ignorent tout des racines de ce conflit et seraient sans doute bien en peine de tracer les frontières de l’État juif sur une carte muette ?
Un million de Tutsis ont été massacrés par les Hutus au Rwanda en 1994 ; des crimes de guerre (et contre l’humanité) abominables ont été commis dans les Balkans dans les années quatre-vingt-dix ; des centaines de milliers de Ouïghours ont été parqués dans des camps «de rééducation» en Chine depuis 2017 ; au moins 10 000 personnes sont mortes au Soudan entre l’été et l’automne 2023 ; en Syrie, Bachar el-Assad a bombardé sa propre population avec des gaz de combat et des barils bourrés d’explosifs; la junte birmane massacre allègrement ses minorités ethniques; les Kurdes se battent depuis des décennies pour avoir un État que le monde leur refuse; le gouvernement algérien réprime les Kabyles; des guerres civiles atroces ou des offensives djihadistes sanglantes ravagent plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ou centrale; le régime des Mollahs détient le record du monde des exécutions publiques, et les talibans, revenus au pouvoir, excluent les femmes de la vie publique et ferment les écoles de filles, etc.
Une seule de ces tragédies – dont les victimes cumulées se comptent pourtant par millions – a-t-elle suscité ne serait-ce qu’un dixième des réactions que l’on observe à l’encontre d’Israël depuis le 7 octobre ? Non, absolument pas. On n’a guère plus manifesté, du reste, quand les avions de la coalition internationale aplatissaient des quartiers entiers de cités syriennes ou irakiennes lors de la guerre contre Daech, enterrant pourtant sous les décombres des milliers de civils tout aussi innocents que ceux qui meurent à Gaza.
Mais ces victimes-là n’intéressent pas ceux qui défilent en hurlant « From the River to the Sea, Palestine Will be free ». Elles n’intéressent pas les bloqueurs de Sciences-Po et ne trouvent aucune place dans les éructations haineuses de Jean-Luc Mélenchon qui, ce matin, encourageait les idiots utiles du Hamas rue Saint-Dominique en déclarant qu’ils étaient « l’honneur de la France ».
Il semble donc clair que ce qui provoque indignation et colère n’est pas tant la nature de la victime que celle de celui qui la tue : si ce n’étaient pas les Israéliens, majoritairement Juifs (mais pas exclusivement : l’armée israélienne compte aussi des Druzes, des Bédouins ou des Arabes, des chrétiens et des musulmans), les morts de Gaza n’éveilleraient sans doute pas plus de « compassion » que les pauvres Ouïghours, Soudanais ou autres Birmans. Antisémitisme, je le maintiens.
Un dernier mot : certains diront que ces lignes sont dictées par mon amour pour Israël. Il et vrai que j’ai vécu, dans ma jeunesse, dans un kibboutz (d’ailleurs proche de la Bande de Gaza), celui de Yad Mordechaï, créé en 1943 par des survivants du Ghetto de Varsovie et classé à l’extrême gauche. Il est vrai que je suis sioniste (ou plutôt « pro-sioniste », car personnellement, je n’ai pas fait le choix de vivre en Israël). Mais ce n’est pas là ce qui me motive ce soir. Pas entièrement du moins. Ce qui m’agite, c’est la colère et la tristesse. Colère de constater que trop d’années de tolérance aveugle ont pourri une partie de la jeunesse. Tristesse de voir sombrer dans la haine, l’intolérance et la bêtise crasse un monde universitaire qui fut longtemps, en France, un lieu d’intelligence et de réflexion ;
Mais ceci, il est vrai, n’est qu’un reflet de l’évolution générale de notre société.
P.S. : pour bien comprendre ce qui est à l’œuvre dans cette mouvance dite « pro-palestinienne », j’invite à lire la superbe, longue et passionnante enquête de Pauline Condomines dans le troisième numéro de la revue « Livre Noir » (Avril-Mai-Juin 2024).
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