top of page

Sur Ali Aarrass, les droits des terroristes et l’usage de la torture

Il y a quelques semaines, j'ai été interviewé par Georges Huercano, l'excellent Rédacteur en Chef de l'émission "INDICES" sur RTL TVI (lien: http://www.rtltvi.be/video/279514.aspx)qui voulait recueillir mon opinion sur l'affaire Ali Aarrass, ce Belgo-Marocain récemment extradé d'Espagne vers le Maroc. Mon interview (qui représente à peine 3 ou 4 minutes sur un document de 23’ 41’’ donnant la plus large place aux défenseurs de M. Aarrass, à ses amis et à sa famille) m’a valu un tombereau d’injures, voire de menaces. On s’en est, ainsi, pris à mes origines ethniques ou religieuses supposées, à mon physique ou encore à mon statut « d’ expert autoproclamé ». Ces insultes me laissent froid. Les insultes m’ont toujours laissé froid – « ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » comme dit fort élégamment Jacques Chirac. L’insulte est l’arme de l’imbécile qui, à court de mots et d’arguments qui lui permettrait de débattre préfère s’en prendre au messager plutôt que discuter le message… Mais les questions posées par certains m’ont convaincu qu’il était nécessaire de mettre les choses au point sur trois aspects de cette polémique : le cas de M. Aarrass, les droits des terroristes et l’usage de la torture. 1) Sur Ali Aarrass Je ne sais pas si M. Aarrass est ou n’est pas un terroriste, je ne sais pas s’il est ou n’est pas un ami ou un complice de M. Belliraj récemment condamné à la prison à vie au Maroc pour différents crimes terroristes dont certains commis sur le sol belge. Je n’ai pas eu accès au dossier de M. Aarrass et celui-ci n’a pas encore été jugé. Ce que j’ai dit c’est que les autorités marocaines « soupçonnaient » M. Aarrass d’être mêlé à une filière terroriste pro-iranienne particulièrement dangereuse. L’existence de ces soupçons sont un fait. Ni plus ni moins. Ils seront infirmés ou confirmés par la justice. J’ai souligné aussi que certains de ceux qui le défendent aujourd’hui (pas «tous », « certains » en l’occurrence les membres du parti Egalité) appartiennent à une mouvance « islamo-gauchiste » qui est proche de l’extrême gauche belge et des positions iraniennes. Ceci est également un fait, amplement documenté. Je le maintiens donc. J’ajoute, pour conclure sur ce chapitre, que ceux qui défendent M. Aarrass et proclament son innocence n’en savent pas plus que moi et ce, pour la même raison : il n’a pas encore été jugé. Je veux bien, toutefois, faire un pas dans leur sens en admettant que tant qu’un homme n’a pas été reconnu coupable par un tribunal, il est présumé innocent. Pour le reste j’ai dit que, tout en « n’ayant pas assisté à ses interrogatoires », je serais très étonné que M. Aarrass ait été torturé au Maroc. Je le maintiens également. 2) Sur les droits des terroristes J’ai déclaré dans le reportage consacré à M. Aarrass : « Avoir droit à un procès juste et équitable est un droit fondamental. Avoir le droit pour un enfant d’aller à l’école et d’en revenir sans que l’autobus saute me semble également être un droit tout aussi élémentaire et fondamental. Et je pense que la démocratie a le droit de se défendre contre le terrorisme… ». Fin de citation. Je précise que j’ai bien dit « la démocratie », pas « l’Occident », comme certains l’affirment, je n’utilise jamais ce mot, lourdement connoté et, par ailleurs, étant une sorte de métèque, je n’ai pas une admiration sans borne pour cet Occident, même si je reconnais qu’il su créer, dans le sang et la douleur, un modèle d’Etat de droit que les peuples du monde lui envient. On m’a, aussitôt, lourdement accusé de défendre toutes sortes de barbouzeries et, bien entendu, la « torture ». Je précise donc ma pensée. Je crois réellement que les présumés terroristes ont droit à un procès juste et équitable qui prenne totalement en compte leur droit à la défense. Cela a – d’ailleurs - été le cas au Maroc où les avocats de M. Belliraj se sont déchaînés (et c’était leur droit) contre l’accusation sans être censurés, aussi bien en première instance qu’en appel. Par ailleurs, je ferai quand même remarquer que M. Belliraj a donné plusieurs entretiens aux médias, par téléphone, depuis sa prison, ce qui semble contredire ceux qui affirment que les conditions de détention des terroristes sont, au Maroc, « épouvantables ». Je n’ai jamais entendu un détenu français ou belge donner des interviews… Par ailleurs, et ceci dépasse bien évidemment le cas Ali Aarrass, je suis partisan de lois spéciales contre le terrorisme (comme, d’ailleurs, contre le crime organisé) parce que je sais que ces formes de violence, surtout aujourd’hui, sont tellement insidieuses et dangereuses, tellement complexes dans leurs modes opératoires et ont de telles effets dévastateurs qu’il est nécessaire de les traiter de manière spécifique. Mais ce, bien entendu dans le respect de la Constitution. Il devrait tomber sous le sens qu’on ne peut utiliser les mêmes méthodes et les mêmes lois pour juger celui qui escroque son voisin, vole une voiture ou tue sa femme (ce qui est très mal) et pour celui qui planifie froidement le massacre de centaines de personnes ou monte un trafic de tonnes d’héroïne ou un réseau de traite des êtres humains qui couvre la moitié de la planète. C’est une simple question de bon sens. La France, l’Angleterre et d’autres pays démocratiques ont des législations anti-terroristes depuis fort longtemps et même des groupes de magistrats spécialisés, aussi bien au parquet qu’à l’instruction et je ne crois pas que ces Etats en soient, pour le coup, moins démocratiques. Cela étant, et je sais que je vais en faire bondir plus d’un, je ne crois pas une minute au « tout judiciaire ». Le traitement judiciaire du terrorisme me semble être l’idéal à atteindre, mais ce n’est pas toujours possible et il existe, fort heureusement, d’autres méthodes. Je pense, par exemple, que, si le terroriste se trouve dans un endroit ou la main de la justice ne peut ni l’attraper ni le frapper (la Somalie, l’Afghanistan, certaines parties du Yémen, Gaza…) et que l’on a de bonnes raisons de penser qu’il présente un danger réel et relativement imminent, il est juste et légitime d’utiliser tous les moyens, y compris les éliminations ciblées, pour le mettre hors d’état de nuire. Les services spéciaux et les forces spéciales existent, entre autres, pour cela. 3) Sur la torture Reste la question de la torture. On m’avait déjà accusé, il y a quelques années, suite à, un passage à « Pièces à Convictions », sur France 3 d’être un tortionnaire en puissance, ou même un « Nazi », les plus hargneux me traitant de « Nazi Juif » (sic !). Tout cela parce que, commentant le sort de charmants jeunes gens arrêtés dans un camp de Ben Laden en Afghanistan, j’avais expliqué qu’il ne valait quand même pas qu’ils s’attendent à être accueillis avec des fleurs et que leur sort me laissait assez indifférent. Ces braves petits, précisons-le, estimaient que l’Afghanistan lapidant les femmes adultères était un modèle à propager au plan mondial et s’entraînaient en vue de commettre des attentats en Europe. Trois ou quatre ans plus tard, rebelote : me revoici soupçonné des pires desseins liberticides. C’est un débat difficile mais je ne compte pas l’esquiver. Je souligne que ce qui suit est une position générale, elle n’est pas à mettre en rapport ave le sort particulier de M. Aarrass. Le plus simple serait, évidemment, de dire que je condamne la torture. Toujours et partout. Point final et fin du débat, allez voir ailleurs si j’y suis. Alors, oui, bien entendu, je condamne la torture physique et mutilante, qu’il s’agisse de coups, d’usage de l’électricité, de chocs, de l’utilisation forcée de « positions stressantes », de waterboarding ou d’autres brutalités quasi médiévales du même type. Et je condamne le fait d’obliger un détenu, quel que soit son crime, à vivre dans des conditions inhumaines et dégradantes, fait que j’assimile à une torture. Toutefois – car, bien entendu, il y a un « mais » -, je peux admettre, dans des cas exceptionnels, l’usage, limité dans le temps et dans l’intensité, d’une certaine dose de brutalité afin d’obtenir rapidement un renseignement opérationnel pouvant sauver des vies. En d’autres termes, si l’on a sous la main un terroriste qui a posé une bombe ou qui sait où elle a été disposée et que cette bombe, qui sautera dans quelques heures ou quelques jours, tuera des innocents, je crois que l’on peut utiliser des méthodes « dures ». Après tout, il ne faut pas oublier que le tueur et la victime s’ils ont tous les deux des droits, ne sont pas, ne seront jamais, sur une position d’égalité. D’un côté on a une victime qui, par définition n’a rien demandé à personne et est innocente et, de l’autre, un individu qui a sciemment choisi d’utiliser la violence extrême contre des innocents. Cet individu peut et doit s’attendre à ce que son choix l’expose à quelques désagréments… Qui me contredira si j’affirme, que s’il avait été possible d’éviter le massacre du 11 septembre ou les attentats de Madrid ou de Londres en brutalisant UNE SEULE personne il fallait le faire ? Certainement pas les enfants qui, depuis toutes ces années, grandissent sans leur père ou leur mère. Ou, même, privés des deux. Et certainement pas ceux, qui, atrocement mutilés, gisent sur des lits d’hôpitaux qu’ils ne quitteront jamais. Mais même dans ce cas extrêmes et, je le répète, exceptionnels, je réprouve les méthodes les plus dures. Il existe des possibilités de coercition physique stressante (pressions psychologiques, privation de sommeil, désorientation spatio-temporelle, menaces etc.) qui permettent d’obtenir rapidement le renseignement nécessaire. Dans tous les autres cas je condamne totalement et sans réserve la torture qui détruit autant celui qui la pratique que celui qui la subit. Et tout particulièrement, bien entendu, quand elle est utilisée non pas dans le but d’obtenir un renseignement précis qui sauvera des vies mais dans celui de punir ou d’humilier, comme ce fut le cas dans l’horrible geôle d’Abu Ghraïb, en Irak. Quant au renseignement n’ayant pas une utilité directement opérationnelle, il existe des méthodes psychologiques « douces », bien connues des spécialistes, basées sur la manipulation, le mensonge, les effets de dynamique de groupe et autres - qui permettent des résultats extrêmement probants : par exemple dresser ou préciser des organigrammes de groupes qui, le moment venu, permettront de les éliminer, ou mieux comprendre les mécanismes de décision et d’exécution, ce qui permettra de mieux protéger les cibles potentielles et de définir les responsabilités de chacun. Ces lignes, je le sais, en feront hurler plus d’un qui y verront la confirmation de mes idées détestables et, plus généralement du fait que la lutte contre le terrorisme couvre tous les abus et toutes les violations des droits de l’Homme. Je n’admire pas ces âmes pures. Je les plains. Personne ne veut ramasser les ordures, c’est entendu, mais chacun souhaite que les rues, au matin, soient propres. Il en va de même du combat contre la terreur et la grande criminalité : pour défendre la société et protéger les innocents, il est parfois nécessaire de se salir les mains. C’est extrêmement regrettable, mais c’est comme cela. Et après tout, "ce n'est pas nous qui avons commencé"! Je sais également que ceux, qui, aujourd’hui, disent défendre les libertés contre l’Etat seront les premiers, demain, si une bombe explose et tue à demander gravement pourquoi rien n’a été fait « pour empêcher cela ». Chacun a les combats qu’il peut et veut avoir. Que chacun se débrouille avec sa conscience. La mienne est tranquille et si, parfois, un doute ou un regret m’assaillent, je pense aux inconnus que l’action du service auquel j’ai naguère appartenu (et l’action de mes camarades et amis resté en service actif dans bien des pays) a protégé et qui ne sauront jamais à quoi et à qui ils doivent d'être en vie. Et je me sens, tout de suite, beaucoup mieux.

bottom of page