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Six anciens directeurs du Mossad se prononcent pour des négociations et une paix à deux Etats….


Je me souviens de la soirée du 4 novembre 1995 comme si c’était hier. Et je ne l’oublierai jamais. Mon téléphone a sonné et le rédacteur-en-chef d’un magazine avec lequel je collaborais m’a annoncé qu’on avait tiré sur Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, et m’a chargé de suivre l’affaire. J’ai immédiatement commencé à donner des coups de téléphone à des amis « bien placés » à Jérusalem et Tel Aviv. La question centrale qui m’occupait était de savoir comment les services de sécurité israéliens avaient pu commettre une chaîne d’erreurs qui avait abouti à laisser un terroriste palestinien approcher le chef du gouvernement et lui tirer dessus. Puis, en quelques minutes, nous avons appris que Rabin avait succombé à ses blessures. Et enfin, rapidement, est venue l’incroyable, l’horrible nouvelle : ce n’était pas un Palestinien qui avait tué Rabin, mais un extrémiste juif opposé au processus de paix dont Yitzhak Rabin était le porteur, Yigal Amir. La mort de Rabin mit un coup de frein aux négociations...

Je me souviens, comme si c’était hier, d’une autre soirée, dix ans plus tard, celle du 18 décembre 2005. On annonçait ce soir-là que le Premier ministre Ariel Sharon, victime d’une attaque cérébrale, venait d’être hospitalisé. Il devait mourir huit ans plus tard, sans jamais être sorti du coma. Sharon venait d’évacuer Gaza et s’apprêtait à s’attaquer au problème de la Cisjordanie. Sa disparition de la scène politique entraîna la fin du processus.

Ces deux hommes, étaient considérés comme des « faucons », l’un, Rabin, à gauche et l’autre, Sharon, à droite. Tous deux étaient d’anciens généraux et des hommes forts qui inspiraient confiance au peuple d’Israël et pouvaient donc lui demander de prendre le risque de la paix.

Si ces événements m’ont tellement touché, c’est que, depuis toujours, je suis extrêmement attaché à Israël, pays où je suis parti vivre en 1980, à l’âge de 22 ans, où je suis fréquemment retourné dans les décennies qui ont suivies et où je compte de très nombreux amis, entre autres (mais pas seulement) dans la communauté du renseignement et les milieux militaires.

Depuis ces dates fatidiques, j’ai assisté, de loin, à cet affrontement sans fin entre deux peuples condamnés à cohabiter sur la même terre. Avec mon épouse, Genovefa Etienne, nous avons, très modestement, tenté de jouer notre rôle dans le rapprochement, en organisant, par exemple, de discrètes rencontres entre diplomates israéliens et arabes. Nous nous sommes toujours tenus aux côtés d’Israël, mais en respectant également l’aspiration nationale des Palestiniens. En 2009, j’ai écrit un petit livre, « Gaza le Grand Mensonge », dans lequel je démontais la désinformation (et, parfois, l’antisémitisme…) qui avaient accompagné la couverture de l’opération « Plomb Durci » contre le Hamas, à Gaza. Ce livre était préfacé par mon ami Mohamed Sifaoui dont on peut dire beaucoup de choses, mais pas qu’il est un propagandiste sioniste. Tout cela pour dire que je parle et que j’ai toujours parlé en ami d’Israël…

C’est en ami d’Israël que j’ai regardé, en 2012, « The Gatekeepers », le formidable documentaire de Dror Moreh qui donne la parole à six anciens chefs du Shin Beth le renseignement intérieur israélien. Avraham Shalom ( 1981-1986), Yaakov Peri (1988-1994), Carmi Gillon (1995-1996), Ami Ayalon (1996-2000), Avi Dichter (2000-2005) et Yuva Diskin (2005-2011) y dressaient, sans fard et sans concession, le bilan de leurs années à la tête du service et se prononçaient, unanimement, pour la reconnaissance d’un Etat palestinien et pour des négociations de paix.

Il y a quelques jours, c’est le quotidien Yedioth Ahronoth, qui publiait une interview croisée de six anciens chefs du Mossad (renseignement extérieur). Zvi Zamir, Nahum Admoni, Shabtai Shavit, Danny Yatom, Efraim Halévy et Tamir Pardo, malgré leur divergences y dressent le même constat : il n’y aura pas de paix sans qu’existent, côte-à-côte, deux Etats.

Peu de conflits au monde ont provoqué et continuent à provoquer autant de passions. Il est donc extrêmement difficile de tenir le langage de la raison, comme le font ces anciens responsables de la sécurité de l’Etat juif.

Je sais que, du côté palestinien, des extrémistes continuent à rêver de la destruction pure et simple de l’Etat d’Israël voire de l’éradication du peuple juif de la région. Je sais que du côté israélien (et, plus encore, dans la diaspora) certains prônent le jusqu’au-boutisme et, perdus dans un rêve messianique qui ne conduit que dans une impasse de sang, de mort et de larmes, refusent toute concession aux Palestiniens…

Mais écoutez Danny Yatom, directeur du Mossad de 1999 à 2001 : « Ce pays va s’abîmer et évoluer vers un état pratiquant l’apartheid ou vers un état non-juif si nous continuons à gouverner les « territoires ». Je vois cela comme une menace existentielle. Un Etat de cette sorte n’est pas l’Etat pour lequel j’ai combattu. Il y a des gens qui disent que « nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais il n’y a pas de partenaire [pour la négociation], mais c’est faux. Il y a un partenaire. Que vous le vouliez ou non, les Palestiniens et ceux qui les représentent sont les partenaires avec lesquels nous devons négocier… »

Je sais que le chemin sera long mais voir des hommes qui ont pris tous les risques et qui ont tout fait pour défendre et protéger Israël prendre, à nouveau, la parole pour promouvoir la seule issue possible et raisonnable au conflit, celle d’une paix à deux Etats est un encouragement.

Leur geste nous montre, près de 23 ans plus tard, qu’Yitzhak Rabin n’est pas mort pour rien….

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