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Charles III et la communauté britannique du renseignement


Lorsqu’il était Prince De Galles, Charles III entretenait des relations suivies avec les services de renseignement britannique (dont il était, à leur demande, le parrain). Une réalité qui nous dit beaucoup sur le patriotisme anglo-saxon, la reconnaissance dont jouissent les « services » à Londres (inimaginable en France ou dans d'autres pays européens ) mais aussi sur la monarchie et la force des traditions. Tour d’horizon…


(Cette interview a été initialement publiée dans « L-Post » il y a trois jours, sous le titre : « Que signifie la mort d’Elizabeth II pour le renseignement britannique »)


L-Post : En termes de sécurité et de renseignement, la mort d’Elizabeth II et l’accession au trône de Charles III changera-t-il quelque chose ?


Claude Moniquet : Non, cela ne changera rien et pour plusieurs raisons. D’abord, monarque constitutionnel, le roi d’Angleterre règne mais ne gouverne pas. Son action directe sur les affaires est donc inexistante. Ensuite, la communauté britannique du renseignement est ancienne, très structurée et héritière de très longues traditions, même s’il y a eu des ruptures et des périodes de grande faiblesse dans son histoire.


L-Post : De quand date le renseignement britannique ?


Ce sont les Anglais, à l’époque d’Elisabeth Ière qui ont « inventé » le renseignement, au XVIème siècle, quand il s’agissait de protéger le royaume et la Réforme contre les puissances catholiques qu’étaient l’Espagne et la France. Quand on étudie l’histoire du renseignement on est étonné, en revanche, par la modernité des méthodes utilisées à l’époque par Francis Walsingham, le maître espion d’Elisabeth : entrainement des agents, officiers traitants, infiltration, déstabilisation, intoxication, on peut presque dire que Walsingham et ses hommes ont quasiment tout inventé de ce qui se fait aujourd’hui. Depuis, l’excellence du renseignement britannique ne s’est jamais démentie. Nous en avons un exemple particulièrement criant à la fin de l’hiver dernier : Londres, avec Washington, a été la seule capitale à annoncer que la Russie allait envahir l’Ukraine. Et, depuis le 24 février les points de situation quotidien du renseignement de Londres sur la guerre sont d’une précision extrême…


L-Post : Mais peut-être Charles III, dont on sait l’intérêt qu’il porte à l’écologie, à l’urbanisme, à l’intégration ou aux problèmes sociaux sera-t-il moins présent sur les terrains de la sécurité ou des affaires internationales ?


Pas du tout. Charles III sera totalement investi dans sa fonction, comme le fut sa mère. Il a d’ailleurs marqué un intérêt particulier pour la question spécifique du renseignement depuis longtemps. En 2011, il a créé les Prince of Wales's Intelligence Community Awards, qu’il décernait personnellement, chaque année, à des membres des trois agences de renseignement, le British Security Services (MI5) à l’intérieur, le Special Intelligence Service (MI6) à l’extérieur et le GCHQ (le renseignement électronique et d’interception). Ces prix sont destinés à récompenser des personnes qui ne peuvent jamais rendre public leur travail en raison de sa nature secrète. Ils sont décernés – à des personnes ou des équipes - lors d'une cérémonie dans les appartements d'apparat de St James's Palace ou de Clarence House chaque année, au cours d’un déjeuner de Gala rassemblant deux cents invités, dont des amis et des membres de la famille des lauréats. A ma connaissance, aucune reconnaissance similaire de l’importance de ces services n’existe dans un autre pays européen.



L-Post : Le nouveau roi des Britanniques, Charles III, continuera-t-il à valoriser le travail des services de renseignements anglais ?


Depuis 2012, Charles III est le « parrain » de la communauté du renseignement. Il a depuis pris ce rôle très au sérieux et a rendu plusieurs visites, parfois même secrètes, aux diverses agences. Dans un discours prononcé en 2019 devant les membres du personnel du siège du GCHQ à Cheltenham, il déclarait qu'il avait « cherché à défendre et à célébrer le travail remarquable et le rôle essentiel joué au nom de son pays par les services de renseignement ». On sait par des « indiscrétions » soigneusement dosées que le Prince, à l’époque, s’intéressait, au cours de ses visites, non seulement au travail des services qu’il parraine, mais également aux équipes. Au GCHQ, par exemple, en 2019, il a planté un arbre - semblable à ceux que l'on trouve dans sa résidence privée de Highgrove - pour inaugurer officiellement un « Jardin du centenaire » destiné au personnel et visant à promouvoir la santé mentale et le bien-être.



L-Post : La machine du renseignement britannique serait donc mieux intégrée au Royaume-Uni, dans le paysage politico-administratif, que dans les autres Etats européens ?


Oh oui, certainement, et je n’en retiendrai que trois preuves. Les membres des services de renseignement sont des « fonctionnaires de la Couronne » et non de simples fonctionnaires, ce qui signifie qu’ils servent « au gré de la Couronne » et ont un statut particulier. Lorsque les chefs des services quittent leur poste, ils sont systématiquement anoblis (s’ils ne l’ont pas été avant). Et lorsque Andrew Parker a quitté la tête du MI5, en 2021, il a été nommé « Lord Chamberlain », le poste le plus éminent de la Maison royale. Le Lord Chamberlain, un poste créé à la toute fin du XIVème siècle, dirige tous les aspects protocolaires de la vie de la Cour. Il conseille le souverain et est son canal de communication avec la Chambre des Lords.


L-Post : Le Lord Chamberlain aura-t-il une fonction particulière lors des funérailles d’Elizabeth II le 19 septembre prochain ?


Lors des funérailles, on le verra briser le bâton qui symbolise sa fonction sur la tombe de la défunte, juste avant son inhumation. Le passage de Lord Parker du poste de chef des services d'espionnage à celui de chef de la maison royale peut sembler anecdotique. Mais au sein d'un establishment britannique toujours caractérisé par les liens étroits entre les grandes institutions du pouvoir disséminées dans le centre de Londres - Downing Street, les Chambres du Parlement, Buckingham Palace et au-delà - sa nomination est parfaitement logique. Des personnalités familières du dossier affirment d’ailleurs que Charles III s’est intéressé de près à cette nomination. Il estimait, dit-on que Parker – qui a dirigé des sections du MI5, puis le service dans son ensemble lors des crises le plus graves des 20 dernières années – je pense évidemment à la vague terroriste islamiste - était le meilleur choix. C’est un homme calme, de grand sang-froid, qui connaît parfaitement les machines administratives et politiques et sait naviguer dans tous les cercles. C’est aussi un homme qui s’est attaché à la modernisation de la maison qu’il dirigeait. Or, la modernisation sera sans doute le maître- mot du règne de Charles III.


L-Post : Vous faites référence aux traditions et à l’histoire. Lorsque Elisabeth II est arrivée sur le trône, elle a bénéficié des conseils d’un vieux Premier ministre, Winston Churchill. Aujourd’hui, les rôles sont inversés : c’est un roi déjà âgé qui va régner et une Première ministre sans expérience qui va gouverner. Cela ne risque-t-il pas d’handicaper les débuts de son règne très scrutés ?


Non, Charles a eu des décennies pour se préparer à ses fonctions, cela faisait des années qu’il remplaçait de plus en plus souvent la reine dans ses tâches quotidiennes et il connait parfaitement à la fois le pays et les rouages de l’Etat. Par ailleurs, Liz Truss est tout sauf une femme sans expérience. Elle a occupé, depuis 2014, des charges ministérielles importantes : L’environnement, cher au cœur de Charles, mais aussi la Justice, le Trésor, le Commerce extérieur et les Affaires étrangères. Je pense au contraire que ce « couple » peut fonctionner parfaitement.


L-Post : On a beaucoup dit que Charles III ne régnerait jamais ou encore qu’il abdiquerait en faveur de son fils, William. Pourquoi, vu l’âge avancé du nouveau souverain, cela ne s’est-il pas fait ?


C’est impensable. Dans l’histoire de l’Angleterre, on compte les abdications sur la moitié des doigts d’une main. Il y a eu Richard III en 1399, mais il y a été forcé et puis Jacques II en 1688, mais c’était au cours d’une grave crise qui l’avait obligé à fuir en France et, bien entendu Edouard VIII, en 1936. Officiellement parce qu’on lui refusait le droit d’épouser la divorcée américaine Wallis Simpson, mais en fait probablement plus à cause de ses sympathies pour les régimes fascistes. Chez les Windsor, cet épisode malheureux a été un traumatisme tel qu’une abdication est impossible. Lors de son premier discours, Charles III a d’ailleurs réglé la question en affirmant que, comme sa mère, il « servirait son peuple » jusqu’à son dernier jour…


L-Post : On ne savait rien des opinions politiques de la reine. Celles de Charles II , elles, entre autres sur l’environnement, sont connues. Pensez-vous qu’il interviendra davantage dans la vie politique de son pays ?

A nouveau, c’est impossible. Charles III, comme l’était Elizabeth II, est conscient de son rôle. C’est un monarque constitutionnel et il se gardera bien d’empiéter sur la fonction de ses premiers ministres. Maintenant bien entendu, le Roi aura, entre autres grâce aux briefing réguliers de ses services secrets, mais aussi par le biais de l’audience hebdomadaire avec le chef du gouvernement, une connaissance parfaite de l’état des choses. Et rien ne lui interdit, lors de ces rencontres en strict tête-à-tête, d’exprimer un avis ou de donner un conseil. Mais cela, bien, entendu, est couvert par le secret le plus absolu. Je pense en revanche, qu’on verra son influence sur la maison royale et sa modernisation et que l’on pourra deviner ses tendances en examinant soigneusement, par exemple, les listes des anoblissements.


L-Post : Charles III, que l’on a souvent dit mal-aimé, jouira-t-il de la même adhésion populaire que sa défunte mère ?


Je pense oui. J’ai eu le privilège de le rencontrer il y a très longtemps, en 1985, alors que j’étais basé à Vienne. Travaillant alors, entre autres pour le service français de la BBC, j’ai eu la chance de le suivre durant une visite officielle de quelques jours qu’il effectuait avec la princesse Diana. J’ai été frappé, comme tous ceux qui l’ont rencontré, par sa gentillesse, sa simplicité et cet humour naturel et ravageur qu’il partageait avec sa mère. Charles III a cette capacité, en vous parlant trois minutes dans une salle bondée, de vous faire ressentir que vous étiez sa rencontre le plus importante de sa journée. Tout le monde n’est pas capable de dégager un tel charisme. Il a, à tout le moins hérité cela de sa mère. Cela présage un futur règne des plus intéressant sur la scène internationale.

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