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Face à la débâcle, les quatre options de Vladimir Poutine



Depuis le début de l’invasion, le 24 février, l’Otan (et d’autres pays plus éloignés du théâtre des opérations, comme le Japon ou l’Australie) sont montés en puissance dans le soutien à la résistance ukrainienne. A l’Ouest, on prend bien soin de souligner qu’il ne s’agit pas de « cobelligérance ». La Russie, bien entendu, ne voit pas les choses du même œil et multiplie les menaces. Mais quelles sont les véritables options du Kremlin ?


Les deux plus grandes erreurs de Vladimir Poutine et de ceux dont il écoute encore les conseils (essentiellement l’état-major et les services de renseignement) sont limpides : d’abord, il a surestimé la puissance de son armée et, dans le même temps, totalement sous-estimé les capacités de l’armée ukrainienne mais aussi le soutien réel dont jouissait le gouvernement de Kiev et le président Volodymyr Zelenski dans leur population. Vladimir Poutine et ses sbires peuvent raconter ce qu’ils veulent sur leurs véritables plans de guerre (et ils sont loin de s’en priver…), mais les faits sont là : dans les premiers jours du conflit, Moscou était tellement persuadé que la défense ukrainienne allait s’effondrer et que Zelenski serait chassé du pouvoir que les administrateurs civils qui devaient prendre la place de la haute administration ukrainienne pour établir un régime à la botte de Moscou étaient déjà présents dans les convois militaires roulant vers Kiev.


Sa deuxième erreur a été de penser que l’Occident n’allait pas réagir, ou alors de manière purement symbolique. Se souvenant sans doute des sanctions assez bénignes ayant suivi l’annexion de la Crimée en 2014, mais aussi du manque de réactions en Syrie face à l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad, le maître du Kremlin ne s’attendait certainement pas à ce qui s’est passé.


Or à quoi assistons-nous, depuis le 24 février ?


Le cauchemar de Vladimir Poutine


La prise de sanctions a été immédiate et sans précédent et, quoi que l’on dise au Kremlin, elles vont laminer, pour longtemps, l’économie russe.


Le renforcement de l’Otan, avec, non seulement, une cohésion retrouvée, mais aussi l’adhésion annoncée de pays historiquement neutres comme la Suède, était tout aussi inattendu à Moscou.


Et surtout, bien entendu, il y a les livraisons d’armes massives et continues à l’armée ukrainienne et l’assistance qui lui est offerte dans de nombreux domaines.


Sanctions, renforcement de l’Otan, soutien sans faille à Kiev : tel est, aujourd’hui le cauchemar de Vladimir Poutine. Mais c’est clairement la troisième carte de ce brelan qui est le plus inquiétant pour lui.


Si l’on ne peut mettre en doute la volonté et l’extraordinaire combativité des soldats ukrainiens – à comparer avec le moral quasi inexistant des soldats russes -, ce n’est pas leur faire injure que de dire qu’ils ne pourraient évidemment rien sans l’appui des Alliés.


Depuis plusieurs semaines maintenant, cet appui a pris des formes décisives. Sans dévoiler de secret (je ne cite ici que des faits qui ont déjà été rendus publics par les gouvernements ou par la presse), où en sommes-nous ?


Matériel, Renseignement et Formation


- D’abord, les matériels. L’Ukraine a déjà reçu pour plusieurs milliards de dollars en armements et munitions et les livraisons vont s’accélérer dans un proche avenir. Si certains de ces équipements (provenant d’anciens membres du pacte de Varsovie appartenant aujourd’hui à l’Union européenne) sont d’origine soviéto-russe (les Ukrainiens sont habitués à les manipuler), d’autres sont des systèmes très performants et puissants qui permettent vraiment à Kiev de faire la différence face à la Russie ou, au minimum de mieux protéger ses troupes. On parle ici d’hélicoptères, de transports de troupes blindés, de tanks, de canons à longue portées (les Américains ont livré des « Howitzer », l’Allemagne en a promis, la France, par exemple va livrer une douzaine de canons Caesar, sur un total d’un peu plus de 60 en service dans notre armée…) permettant de toucher des cibles à plusieurs dizaines de kilomètres, de missiles antitanks et anti-aériens, de systèmes radars ou « d’acquisition » (de cibles) et de communication, de drones (entre autres engins turcs « TB2 Bayraktar »).


S’y ajouteront, dans un proche avenir, des drones tueurs (« Switchblade ») envoyés par Washington dont certain à capacités blindicides et d’autres matériels dans le détail desquels il n’est pas nécessaire d’entrer ici.


- Ensuite, la formation : pour ce qui est des matériels occidentaux auxquels les Ukrainiens ne sont pas habitués, une formation est nécessaire. On compte, en général, une dizaine de jours pour entrainer, par exemple, les personnels à l’utilisation de l’artillerie à longue distance. Des militaires ukrainiens ont déjà été formés dans les pays qui livrent les matériels ou dans certains Etats européens limitrophes de l’Ukraine. D’autres sont encore en cours de formation ou seront entraînés dans les semaines à venir.


- Enfin, le renseignement : les Etats de l’Otan (essentiellement les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France) fournissent aux forces ukrainiennes le renseignement tactique opérationnel provenant, entre autres, de l’imagerie satellitaire ou des interceptions électroniques.


Arrivant à l’état-major ukrainien en temps réel, ce renseignement lui permet de cibler les installations et matériels russes. On sait ainsi que si le croiseur Moskva (la Russie ne possédait que trois vaisseaux de cette classe) a été coulé, il y a deux semaines, c’est en partie grâce à la fourniture de ses coordonnées par les Etats-Unis. Il est probable que des frappes directes contre des centres de commandement, de communication et de logistique russes ont été rendues possibles par la qualité et la précision des renseignements alliés. Ces frappes ciblées ont permis d’éliminer des dizaines sinon des centaines d’officiers. Parmi eux, neuf généraux. Le week-end dernier, à Izium, le chef d’état-major russe, le général Valery Gerasimov aurait été blessé lors d’une de ces frappes.


- Dernier élément : la présence éventuelle de forces spéciales de trois pays membres de l’Otan qui agiraient en qualité de « conseillers » de leurs homologues à Kiev, mais ceci, avancé par plusieurs médias, n’a cependant jamais été confirmé par les capitales concernées.


Cette montée en puissance de l’armée ukrainienne – tant en termes de capacités que de savoir-faire - pourrait permettre à l’Ukraine de remporter militairement une guerre dont elle est déjà, politiquement, la grande gagnante (pour simple rappel, dès le premier mars, j'expliquais ici pourquoi Vladimir Poutine avait "déjà perdu" la guerre...)


Menaces en cascades


A Moscou on ne s’y trompe pas Et les menaces se multiplient.


Fin avril, Vladimir Poutine mettait en garde contre toute intervention extérieure dans le conflit: «Si quelqu'un a l'intention de s'ingérer de l'extérieur dans ce qui se passe et de créer des menaces inacceptables pour la Russie, ils doivent savoir que notre riposte (...) sera rapide et foudroyante. » La Russie utilisera, a-t-il ajouté, ses armes les plus performantes : «Nous avons tous ces outils dont personne d'autre ne peut se vanter actuellement. Nous n'allons pas nous vanter : nous allons les utiliser s'il le faut. Et j'aimerais que tout le monde le sache. Toutes les décisions là-dessus ont été déjà prises ».

Et pour ceux qui n’auraient pas compris le message, le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov déclarait de son côté, évoquant une possible troisième guerre mondiale: «Le danger est sérieux, il est réel, il ne doit pas être sous-estimé» et d’ajouter : une troisième guerre mondiale constitue actuellement n risque réel , allant même jusqu’à agiter le spectre d’un conflit nucléaire...


Les menaces sont une chose. Mais quelles sont les options réelles de Vladimir Poutine et de son entourage ?


Les quatre options de Vladimir Poutine


La première option, la plus évidente, est aussi, malheureusement, la moins probable : retirer les troupes, mettre fin à ce que la Russie s’obstine à qualifier «d’opération spéciale (parler de « guerre », en Russie, peut valoir quinze ans de prison… ) et faire le choix de négociation réelles.


La deuxième option est d’intensifier le conflit en déployant encore plus de troupes et en faisant preuve de plus de brutalité – avec, peut-être, l’utilisation d’armes chimiques voire nucléaires tactiques, ce qui pourrait être considéré comme une « ligne rouge » par l’Otan. Il me revient d'interlocuteurs crédibles à Moscou que les ministères et service "de force" (Défense, certains services de renseignement) réclament cette intensification du conflit.


Les bombardements récents pratiqués sur des gares, des nœuds ferroviaires, des aéroports et des entrepôts, jusqu'à Odessa, Lviv ou Kiev s’inscrivent dans cette logique et visent manifestement à ralentir ou empêcher l’acheminement des nouveaux matériels vers le front. Signalons cependant, au passage que ces destructions systématiques d'infrastructures ne ravissent pas Pékin (euphémisme...) qui, jusqu'à présent a adopté une position "neutre" face à l'agression russe: la "route ukrainienne" est essentielle à l'exploitation de la "nouvelle route de la soie" qui permet d'acheminer les produits de l'empire du milieu vers l'Europe....


Toujours dans cette option, le choix pourrait même être fait d’élargir la guerre à des territoires proches. C’est la crainte qu’a soulevée, il y a quelques jours, les incidents survenus en Transnistrie, cette autre république fantoche soutenue par la Russie en

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La troisième option, si la situation devient réellement insupportable pour les troupes russes, est celle d’un affrontement limité entre la Russie et l’Otan, que j’ai déjà évoqué ici, avec des frappes sur des installations servant, en Pologne, en Roumanie ou dans d’autres pays limitrophes ou d’Europe centrale à la concentration, au conditionnement et à l’envoi d’équipements militaires de l’Otan. Mais étant donné qu’ils n’arrivent même pas à battre l’armée ukrainienne ni même à prendre totalement la ville de Marioupol, les stratèges russes ne peuvent guère entretenir d’illusions sur leurs possibilités de vaincre l’Otan par des moyens conventionnels.


D’autant que, contrairement à ce qui se dit sur de nombreux plateaux de télévision, cet affrontement ne serait pas, pour l’Otan une « guerre par procuration » que les Etats-Unis livreraient à la Russie avec la peau des soldats européens : il y a aujourd’hui 100 000 soldats américains en Europe et ils seront en première ligne.


La quatrième option découle de l’impossibilité de la troisième : c’est évidemment celle de la guerre nucléaire. Mais cette guerre, personne ne peut la gagner. Et à quoi servirait à Moscou d’atomiser, Paris, Bruxelles, Londres ou Washington (ou l’ensemble de ces villes plus quelques autres) si c’est pour se retrouver avec un désert nucléaire en Russie ?


L'heure du choix


On espère dés lors, aussi bien à Washington qu’à Paris ou Londres, qu’en définitive, et même si elle semble aujourd’hui très improbable, c’est la première option (fin des opérations, retrait des troupes et négociations) qui finira par l’emporter, même si, à court terme, la deuxième (intensification) à plus de chances de se réaliser.


Mais cette solution pourrait poser la question de la survie politique (sinon physique) de Vladimir Poutine : l’état-major et les services de sécurité (tous ces « Siloviki », qui l’ont porté au pouvoir il y a 22 ans et dont il représente depuis les intérêts) pourraient bien ne pas lui pardonner cette humiliation.


D’autant que, quand la guerre se terminera, l’armée sera dans un état terrible (les services de renseignement britanniques estimaient ce lundi 2 mai que 25% des forces russes engagées sur le terrain ont déjà été annihilées), les sanctions ne seront pas levées et le pays se trouvera durablement isolé.


Un désastre et une humiliation dont Vladimir Poutine pourrait avoir à payer le prix.


Et ce dernier élément pèsera lourd dans les choix décisifs que le Kremlin aura à faire dans les semaines à venir.

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