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Clotilde Reiss, « Pierre Siramy » et le secret de la défense nationale

Après avoir été retenue durant dix mois par le régime de Téhéran, Mlle Clotilde Reiss a été libérée et est arrivée en France dimanche 16 mai. On ne peut que s’en féliciter. Bien entendu, les habituelles rumeurs sur les « marchandages » qui auraient entouré la libération de Mlle Reiss n’ont pas manqué de se répandre. On y est habitué.

Ce qui est (beaucoup) plus inhabituel c’est qu’il s’est trouvé un ancien fonctionnaire de la DGSE[1], M. « Pierre Siramy », pour prétendre, ce même dimanche, au micro de la chaîne LCI que Clotilde Reiss avait « travaillé au profit de la France pour collecter des informations qui étaient de nature de politique intérieure et d’autres qui étaient sur la prolifération nucléaire. Elle est immatriculée à la DGSE. »[2]

Et là, il faut l’avouer, les bras nous en tombent. En affirmant que Mlle Reiss aurait pu être un « agent » ou un « honorable correspondant » de la DGSE, « Pierre Siramy », non seulement compromet gravement l’avenir professionnel de cette dernière, mais il met également en danger certaines techniques opérationnelles du renseignement extérieur français et désigne du même coup comme suspect potentiel tout chercheur français travaillant à l’étranger dans un pays à régime « difficile ». Mais de plus, il expose à un risque grave tout ressortissant iranien qui aurait pu être en contact avec Mlle Reiss et contre lequel, dans un éventuel futur procès, la justice (peu regardante à Téhéran) pourrait utiliser ses propos. Si l’un ou l’autre Iranien ayant connu Mlle Reiss est pendu pour espionnage ou condamné à une lourde peine de prison en Iran dans les mois à venir, « Pierre Siramy » aura sa mort ou sa détention sur la conscience.

De son vrai nom Maurice Dufresse[3], « Pierre Siramy » a effectué l’essentiel de sa carrière au sein de la DGSE qu’il a quittée pour raison de santé fin 2009 avec le grade de directeur d’administration et en y ayant occupé différentes fonctions. Alors qu’il était encore membre du service, durant l’été 2008, il avait publié, dans un média en ligne, quelques articles assez venimeux sur la « boîte ». Déjà sous le nom de « Pierre Siramy », l’un de ses pseudonymes opérationnels, parfaitement connu, donc, de la direction de la DGSE qui n’avait pas jugé bon de réagir.

En mars 2010, il a publié un livre dont on me pardonnera de ne pas donner le titre – j’estime qu’il a déjà eu assez de publicité comme cela – dans lequel il « balance » à tout va certains secrets du service. Il révèle entre autres (atteinte majeure au secret puisqu’elle peut permettre aux services hostiles d’identifier des personnels) les numéros par lesquels les Officiers traitants (OT) signent leurs télégrammes. Pire, de manière plus ou moins transparente, il identifie certains agents, et, faute suprême, leurs sources présumées et les cibles qui auraient pu être celles du service. J’utilise le conditionnel car (tout lecteur du livre comprendra aisément pourquoi), je suis particulièrement bien placé pour affirmer qu’il n’y a que très peu de vrai dans les ragots de M. Dufresse, qui relèvent plus de la mythomanie et de la confusion que d’une quelconque réalité opérationnelle. Quoi qu’il en soit, ces «révélations » lui ont valu le dépôt d’une plainte du ministre de la Défense pour « violation du secret de la Défense nationale » et d’autres poursuites, entamées pour diffamation celles-là, d’une personne qu’il accuse de meurtre.

Et aujourd’hui, l’aimable monsieur Dufresse « rebondit » sur l’affaire Reiss. On peut se demander où il s’arrêtera….

Tout cela ne serait, au fond, qu’assez pitoyable si, derrière les propos fumeux d’un officier qui a fait toute sa carrière dans de confortables bureaux, à Paris, qui n’a jamais été en poste à l’étranger et n’a jamais, a fortiori, connu le danger inhérent à certaines missions en territoire hostile, il n’y avait la violation d’un principe majeur et sacré pour tout membre de la communauté du renseignement : celui de la protection du secret. Ce secret n’a pas été inventé dans un but inavouable, pour couvrir les agissements maniaques d’espions fous, tromper la société ou empêcher les médias de faire leur travail. Il se justifie pleinement par la nécessité de protéger des personnes – les agents, les sources et tout personne qui fait confiance aux services de renseignement de son pays - et les méthodes.

Pour avoir collaboré avec lui quelques années, j’ai bien connu Maurice Dufresse dans les années quatre-vingt (bien que tout ce qu’il me prête dans ses écrits ne soit issu de sa seule imagination). Je l’ai apprécié et respecté. Je me souviens avec une certaine émotion de discussions que nous avions eues sur la grandeur de nos métiers.

C’est cette grandeur, l’ensemble de sa carrière – on ne se souviendra de lui que comme de celui qui a trahi – et la confiance de ses anciens camarades qu’il foule aujourd’hui aux pieds.

Devenu « homme de lettres » sur le tard, Maurice Dufresse appréciera sûrement à leur juste valeur ces quelques lignes :

« Est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 Euros d’amende le fait, par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ou permanente, d’un renseignement, procédé (…) qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit de le porter à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée ».

C’est dans notre bon vieux code pénal français, l’article 413-10 pour être précis. Mais je ne t’apprends rien, hein, Maurice ?

[1] Direction Générale de la Sécurité Extérieure, les services de renseignement « offensif » français.

[2] Citée dans Le Figaro, ce 17 mai 2010.

[3] Son identité réelle avait déjà été révélée, en mars dernier, par « Défense ouverte », l’excellent blog de Jean Guisnel, du magazine Le Point et par le très bon blog aboudjaffar.blog.lemonde.fr. Nous ne révélons donc aucun secret.

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