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Crépol : Une violence de plus en plus déchainée nous entraîne-t-elle vers la guerre civile ?




Ce texte a été publié originellement par le site « Atlantico.fr » , sous forme d’interview, le dimanche 26 novembre. J’y évoque la violence extrême qui envahit désormais chaque mètre carré de l’espace public et mes craintes de voir cette hyperviolence et le communautarisme déclencher, à terme, une guerre civile (la présente édition est légèrement modifiée pour tenir compte des dernières informations disponibles).

Après Crepol, une attaque au couteau à Dublin en Irlande. Face aux violences communautaristes et islamistes, l'Europe est-elle une grenade dégoupillée?


Avant d’aller plus loin, il faut d’abord définir clairement de quoi on parle quand on évoque ces deux incidents.


Crépol est une (très) petite commune rurale de la Drôme, en région Auvergne-Rhône-Alpes, qui comptait, en 2020, moins de six-cents habitants. Elle est située à une vingtaine de kilomètres de la ville la plus proche, Romans-sur-Isère qui abrite elle-même environ 33 000 âmes.


Dans la soirée du samedi 18 novembre, un bal communal, comme il s’en déroule des dizaines de milliers chaque année en France y est organisé dans la salle des fêtes. Vers deux heures du matin, alors que l’évènement se termine, un groupe d’une dizaine de personnes étrangères à la commune débarque sur les lieux et tente de pénétrer dans la salle. L’agression est presque instantanée, il ne s’agit pas d’une « rixe » mais d’une véritable attaque préméditée : les nouveaux-venus se jettent sur des participants au bal, des couteaux sortent. L’affaire fera 18 blessés, dont quatre à l’arme blanche, en urgence absolue. Le pronostic s’est amélioré depuis pour trois des victimes. Malheureusement, un jeune homme de 16 ans, Thomas, mourra dans l’ambulance qui l’emmène à Lyon, à 66 kilomètres de là.


A Dublin, jeudi 23 novembre, un homme seul a attaqué une femme et plusieurs enfants à la sortie d’une école sur Parnell Square, ont début d’après-midi. La femme et une enfant de cinq ans ont été très grièvement blessées et sont dans un état critique, trois autres enfants ont subi des blessures moins graves. L’agresseur a été arrêté sur place après l’intervention de deux témoins – un livreur brésilien et un jeune Français de 17 ans qui effectue un stage en cuisine en Irlande. On apprendra plus tard que l’agresseur est un quinquagénaire d’origine algérienne, qui a vécu en Irlande depuis vingt ans est naturalisé depuis 2014 et est déjà connu pour des délits mineurs.


Voilà les faits. Dans les deux cas, cette violence absolue sidère : en France parce qu’elle confirme un phénomène déjà observé lors des émeutes qui ont suivi a mort de Nahel, en juin dernier, soit l’irruption de l’hyperviolence dans des zones rurales et de très petites agglomérations, réputées jusque-là calmes et sûres, en Irlande bien entendu, parce que ce sont des enfant qui ont visés.


Peut-on tirer des conclusion de ces deux tragédies ?


De ce qui s’est passé à Dublin, non. La Gardai (police nationale) n’a délivré, et encore fort tardivement, que très peu d’informations sur l’agresseur et aucune sur ses mobiles. A peine sait-on qu’il a agi seul et que la police semble exclure, à priori, toute motivation terroriste à son acte. On ne sait donc pas si l’agression est liée à une situation familiale, au sexe des victimes, à un possible passé psychiatrique de l’auteur des faits ou à une quelconque autre raison.


A Crépol, les choses sont plus claires, puisque neuf arrestations ont été opérées, quelques jours après l’agression – six jeunes majeurs et trois mineurs de plus de seize ans. On sait que les suspects proviennent tous ou majoritairement de Romans-sur-Isère et, plus particulièrement d’une cité « à problème », le quartier de la Monnaie. Les noms et/ou prénoms qui circulent indiquent que l’ensemble des agresseurs (qui ont, depuis tous été mis en examen pour « meurtre en bande organisée» et « tentative de meurtre », six étant incarcérés et trois placés sous contrôle judiciaire) sont d’origine nord-africaine. Sur leurs mobiles précis, en revanche, on se heurte encore à plusieurs hypothèses, d’autant qu’aucun des suspects ne reconnait avoir porté de coups de couteaux: on évoque à la fois une « expédition punitive » liée à une personne ou à un « affront » (mais cette thèse semble de moins en moins probable), une « virée » qui aurait attiré la bande sur place parce qu’elle avait entendu parler d’une « soirée où il y aurait beaucoup de filles » ou encore une explosion de « racisme antiblanc » (en tout cas des insultes allant dans ce sens, proférées par les agresseurs, ont été rapportés par plusieurs témoins).


Seule certitude : les voyous sont venus sur place peut-être pas « pour tuer », mais certainement pour agresser : on ne fait pas irruption, en groupe, en plein milieu de la nuit, dans une fête par laquelle on n’est pas concerné avec des couteaux si on veut simplement s’amuser. Plusieurs témoignages évoquent même, d’ailleurs, la présence d’une arme à feu : plusieurs coups de feu auraient été tirés en l’air lors de la fuite des attaquants.


Commentant les faits, Gérald Darmanin a stigmatisé « la faillite générale de notre société ». On ne peut que lui donner raison.


Depuis des années, on assiste en France à une explosion de violences inédites depuis 1945. Cette violence prend des aspect qui peuvent être très différents : rivalités entre bandes organisées qui règlent leur compte au couteau pour une insulte, un mauvais regard ou, plus simplement, pour assurer le contrôle territorial d’un quartier ou d’un point de deal, agressions « gratuites » ou liées au genre de la victime (homosexuels, jeunes filles), viols collectifs, bagarres communautaires comme lorsque que des Roms et des Marocains se sont affrontés dans le sud de la France il y a quelques années ou lorsque des milices nationalistes turques et des groupes kurdes se sont battus à Strasbourg en 2017. S’ajoutent à ces irruptions de violence, une « délinquance du quotidien » - arrachages, car-jackings – de plus en plus insupportable. Et bien entendu, il faut encore évoquer les émeutes qui suivent régulièrement des épisodes de « violences policières » réelles ou supposées ou le terrorisme d’inspiration islamiste qui a durement touché la France depuis la sanglante campagne d’attentats de Mohamed Merah en mars 2012.


Et enfin, il y a des explosions de haine individuelle particulièrement tragiques. Je pense par exemple à l’enlèvement par le « gang des barbares » d’Ilan Halimi, en 2006, qui fut suivi d’une séquestration de plusieurs semaines et de tortures abominables qui devaient conduire à la mort du jeune homme. Ou encore à la mort de Sarah Halimi, battue à mort et défenestrée le 4 avril 2017 par Kobil Traoré. Ilan et Sarah – qui n’avaient aucun lien de parenté – ont tous deux été assassinés parce qu’ils étaient juifs….


Tous ces évènements ont des causes et des conséquences différentes mais partagent plusieurs caractéristiques communes : la jeunesse (parfois extrême) des auteurs, la violence sans retenue dont ils font preuve, un acharnement sauvage sur les victimes et, souvent, leur origine extra-européenne. A Crépol, on retrouve tous ces ingrédients.


Crépol est donc plus qu’un fait divers, c’est un nouveau révélateurs des tensions communautaristes ?


En tout cas, la mort de Thomas est certainement révélatrice d’une logique identitaire, quasi « tribale ». Un groupe, une bande organisée, venue du même territoire et formée de jeunes partageant la même origine agressent un autre groupe tout aussi identifiable : les membres d’une communauté villageoise sans histoires. C’est la logique du « eux » et « nous » qui se transforme en « nous contre eux », la construction d’une identité fictive : on est pas Français, on n’est pas défini par son origine nationale, on est un membre « du groupe », de la bande qui devient une entité autonome, avec ses rites d’admission et ses propres règles, le tout baignant dans une sous-culture de la violence. Ce que nous dit Crépol, c’est que l’identité de ces jeunes se construit et se cimente non pas de manière positive – on va créer un club de foot, une ONG, une école des devoirs, un ciné-club… – mais dans le rapport de forces et l’affrontement : on va montrer qu’on est les plus forts, on va marquer notre territoire ou en conquérir un autre, on va agresser, détruire.


Et puis, il y a peut-être autre chose, et je sais que je touche ici un point extrêmement sensible. Si l’hypothèse de la « virée de jeunes à la recherche de filles » se confirme, cela nous en dit également beaucoup sur l’extrême difficulté de construire une vie sentimentale épanouies dans certains quartiers. Pour des raisons culturelles, religieuses, familiales, on ne peut pas s’approcher des filles de la communauté qui doivent arriver vierges au mariage. Alors pour sortir de cette « misère sexuelle » les jeunes partent à la recherche des « filles européennes » qui par définitions sont « faciles ». « Ce sont des putes », peut-on souvent entendre dans certains milieux. On peut donc en user et en abuser. Ici, la logique du « rezzou », cette expédition de pillage et de prédation vient se superposer à la logique de bande. Elle conduit à l’agression ou au viol collectif. Du reste cette violence de genre peut également se tourner vers les jeunes filles de la communauté qui transgressent le code moral imposé. Je vous rappelle le drame de la jeune Sofiane, 17 ans, brulée vive dans un local à poubelles de la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine, le 4 octobre 2002, parce qu’elle avait « éconduit un prétendant ». Lors des travaux de la Commission Stasi, qui devaient déboucher sur la loi sur le voile », des jeunes avaient eu ces mots terribles : « si Sofiane avait porté le voile, elle serait toujours vivante »…


Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, France... La situation est-elle différente en fonction des pays?


Non, on voit peu ou prou les mêmes logiques à l’œuvre et les mêmes évolutions dans la plupart des pays européens. La même exacerbation de la violence se retrouve partout, le même choc entre des communautés locales et d’autres, arrivées plus récemment et dont certaines franges ne sont pas correctement intégrées. Prenez la Suède, dont on a longtemps vanté le modèle social. Eh bien à Malmö, dans le sud, une ville où 40% des habitants ne sont pas nés dans le pays, les tensions et la violence sont extrêmement fortes et la criminalité atteint des taux effrayants. Et dans d’autres pays du nord, on doit distribuer aux nouveaux arrivants des tracts sous forme de bande dessinée, la plupart ne connaissant pas la langue de leur pays d’accueil, rappelant que certains comportements ne sont pas acceptables, comme le harcèlement des femmes ou la violence conjugale…


Qui sont les responsables de cette situation? Les émeutiers, les leaders populistes, les professionnels du déni?


La responsabilité première revient évidemment aux auteurs des faits. Un jeune né et/ou éduqué en France connait ou est sensés connaître la loi et il sait ce qui est permis et ne l’est pas. Dans aucune culture d’ailleurs la violence, le vol, le viol ou l’agression ne sont admis ou tolérés. Les comportements dont nous parlons sont donc évidement le fait de minorités, mais ils sont une réalité. Après, bien entendu, les populistes ou certains milieux d’ultra droite jettent de l’huile sur un feu qui est déjà assez violent pour ne pas avoir besoin d’être entretenu. On a vu, à Dublin, dans la soirée qui a, suivi l’agression au couteau de Parnell Square, des centaines de hooligans affronter la police mais aussi détruire et piller des boutiques et incendier des voitures au nom de « l’Irlande » et pour « défendre sa population ». Ce ne sont évidemment pas des comportements d’honnêtes citoyens et ces justiciers ne valent pas mieux que ceux qu’ils dénoncent. A Crépol, on a assisté aux même incidents entre des activistes d’ultra-droite venus de régions parfois fort éloignées et qui ont fini par agresser les forces de l’ordre.


Et enfin bien entendu, il y a, comme vous le dites, ces spécialistes du déni. Au nom du « pas d’amalgame », par crainte de « la stigmatisation » on refuse de dire les choses. Il est mal vu par exemple de dire qu’en France ou en Belgique, la majorité des détenus dans les prisons sont d’origine extra-européenne. On évite de parler du communautarisme ou on le minimise, on nie la violence ou on la justifie – comme certains élus de LFI l’ont fait lors des émeutes de juin dernier. Tous ces comportements interdissent d’identifier les problèmes, d’en débattre sereinement et de tenter de les résoudre.


On joue à se faire peur ou on est à deux doigts d'une crise terrible? Y a-t-il un risque de guerre civile?


Il y a quelques années, je vous aurais répondu que j’excluais ce risque de guerre civile. J’en suis moins sûr aujourd’hui. L’incapacité de l’Etat à traiter le problème de la violence, à régler celui des communautarismes provoque, on le voit bien, une aggravation constante de la situation. Pour le moment, la majorité de la population reste relativement passive, et exprime seulement son désarroi en votant de plus en plus à droite, comme on vient de le voir aux Pays-Bas – encore un pays, pourtant , connu pour sa très grande tolérance. Mais si les choses ne s’arrangent pas rapidement, un jour viendra où la colère pourrait s’exprimer différemment. « Les gens » en ont assez. Ils veulent que l’Etat restaure l’autorité, rétablisse l’ordre et la sécurité. Or, quand on a laissé la dérive s’installer pendant des décennies – et c’est le cas de tous les gouvernements, en France qu’ils soient de droite ou de gauche, depuis quarante ans - on ne revient pas à « la normale » en quelques mois.


Il faut donc un effort puissant, équilibré, qui touche à la fois l’école, les familles, l’urbanisme, la sécurité publique, la justice, la gestion de l’immigration et l’intégration. C'est un chantier immense qui, donc, nécessite une vraie volonté politique, un plan d’ensemble et des moyens humains et financiers importants. Si cet effort n’est pas fait et qu’il ne porte pas ses fruits, on risque effectivement, l’affrontement, qui pourrait commencer par la constitution de « groupes d’autodéfense » pour défendre des quartiers contre les bandes. Du reste il existe dans l’ultra droite violente un courant dit « accélérationniste » qui pense que la guerre civile est inévitable, qu’elle arrive et qu’il faut aggraver les chose pour qu’elle éclate le plus rapidement possible. Mais on voit bien que la colère aujourd’hui, dépasse largement les limites de cette droite ultra pour gagner l’ensemble de la population. On est à la merci d’une explosion qui suivrait un « fait divers » particulièrement tragique. Oui, le pire est envisageable. Et pas seulement en France….

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