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Sophie Pétronin : Deux ou trois choses sur les conditions de sa libération


« Macron a fait libérer 200 djihadistes » : c’est l’un des très nombreux clichés qui circulent sur les réseaux sociaux depuis hier, après l’annonce de la libération de Sophie Pétronin. Thèse séduisante, vite écrite et vite digérée mais qui n’a qu’une faiblesse : elle ne repose sur rien. Sinon sur la volonté de nuire et sur cette déplorable habitude très française de transformer tout évènement, quel qu’il soit en arme de politique intérieure.


Par ailleurs, des choses ont été écrites sur Sophie Pétronin qui méritent un recadrage.


Il me semble donc intéressant de rétablir quelques éléments factuels recueillis, depuis 24 heures, auprès d’acteurs « proches du dossier »


Sur la négociation ayant conduit à la libération des otages


(Ceux qui sont vraiment intéressés par cet aspect des choses pourront également suivre le travail de l’excellent journaliste Wassim Nasr, l’un des meilleurs spécialistes du djihad dans les médias français, sur France 24) :


1) Contrairement à ce qui se dit, Paris n’a pas été mêlé à la négociation avec al-Qaïda ; en fait, des négociations ont bien eu lieu dans le passé, mais elles ont échoué : AQ (en fait le GSIM ou « Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans », une évolution régionale d’AQ qui a souhaité « gommer sa marque » pour être plus acceptable sur le terrain) réclamait la libération de prisonniers. Paris s’y refusait et ne pouvait, de toute façon, pas décider du sort de détenus aux mains de l’autorité malienne. Le contact était donc rompu entre la France, ses intermédiaires et AQ depuis 2018 et n’a jamais été renoué ;


2) Les négociations ont, donc, été menées directement par le gouvernement malien par l’intermédiaire, entre autres, de chefs Touaregs ayant la confiance d’AQ ;


3) Il ne faut jamais oublier, en effet, que l’insurrection malienne est le fruit, à ses origines, d’une alliance entre le Mouvement national de libération de l'Azawad, une organisation touarègue indépendantiste et les groupes islamistes Ansar ad-Dîn (« Les défenseurs de la religion », salafiste), Mujao ( Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest ou Jamāʿat at-tawḥīd wal-jihād fī gharb ʾafrīqqīyā, un groupe salafiste formés d’arabes maliens et de Peuls de la région de Gao) et Aqmi (al-Qaïda au Maghreb Islamique). Plus tard, le Mujao et Aqmi ont fusionné pour donner naissance au GSIM). Les chefs Touaregs de la rébellion sont les seuls à bénéficier d’une solide assise locale qui leur donne une réelle influence et en fait des interlocuteurs incontournables à la fois pour la mouvance islamiste et pour le pouvoir ;


4) La négociation menée par Bamako portait exclusivement sur la libération de Soumaïla Cissé, enlevé en, mars dernier. Soumaïla Cissé, plusieurs fois ministre et plusieurs fois candidat à la présidence, est une figure de proue de l’opposition, et était, surtout, la personnalité malienne la plus importante jamais kidnappée au Mali. Dans le contexte local, Sa libération était extrêmement importante pour Bamako qui en faisait une question de principe, quel que soit le prix à payer. Depuis le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, le 19 août dernier, et la mise en place d’abord d’une junte militaire et, ensuite, d’un pouvoir de transition obtenir cette libération était crucial ;


5) La seule intervention de Paris (et également de Washington) a eu pour objet de s’opposer à la libération de certains détenus jugés particulièrement dangereux. Etant donné l’opacité qui a entouré les négociations, on ignore encore si ces hommes ont été libérés ou non ;


6) Sophie Pétronin n’a jamais été au centre de la négociation et n’a même jamais été évoquée avant les tous derniers jours. AQ ne souhaitait plus « s’encombrer » d’une femme âgée susceptible de tomber malade ou de mourir en séquestration et ne pouvant plus rien « rapporter ». AQ ayant obtenu ce qu’il voulait de Bamako, la française ne lui était plus d’aucune utilité ;


7) Entre 150 et 200 prisonniers ont été échangés contre Soumaïla Cissé, la majorité d’entre eux n’étant pas des djihadistes « dangereux » mais de « petites mains » impliquées dans des trafics ou des de la logistique connexe à l’activité d’AQ au Mali. Seuls entre 10 et 20 détenus libérés peuvent être considéré comme « dangereux » ou, au moins, « intéressants »;


8) Deux otages italiens ont également été libérés dans le « troc » qui vient d’avoir lieu. Tout semble indiquer que leur sort n’a pas été discuté par les autorités maliennes mais que des négociations secrètes étaient en cours entre le GSIM et Rome. On sait que, contrairement à la France, l’Italie a l’habitude de payer pour obtenir la libération de ses otages. Il est possible que le GSIM ait décidé de « solder » cette affaire dans le cadre d’un « package deal ». Après tout, détenir un otage n’est pas simple pour les terroristes : cela implique une logistique relativement importante, limite la mobilité de ceux qui en charge de sa garde et les expose à des actions militaires;


9) Enfin, une otage suisse aurait été assassinée par le GSIM il y a quelques semaines (ce qui est confirmé par Berne, sur base des premiers éléments du débriefing de Sophie Pétronin), les raisons et les circonstances de ce meurtre ne sont pas encore établies mais pourraient l’être prochainement.

Voilà pour les faits qui sont aisément vérifiables par quiconque le souhaite.

Sur Sophie Pétronin


Sur ce sujet, je serai bref. On a tout écrit sur elle, y compris sur sa supposée « sympathie » pour ses ravisseurs. On a également charrié sur elle quelques tombereaux d’insultes.


Sophie Pétronin s’est installée à Gao en 2001 et y ouvert, en 2004, une association humanitaire d’aide à l’enfance : l’«Association d'Aide à Gao ». Elle parle plusieurs dialectes locaux, est très respectée et totalement intégrée dans a vie locale. Tout semble indiquer qu’elle s’est convertie à l’islam avant son enlèvement…


Il est possible, et même probable qu’elle soit victime du « syndrome de Stockholm » ce processus psychologique qui conduit un otage à développer une empathie avec ses geôliers, voire à épouser leur cause (on se rappellera, par exemple, dans un tout autre contexte, que la jeune Patricia Hearst, petite-fille d’un magnat de la presse américaine enlevée à 19 ans, en 1974, par une organisation gauchiste, l’Armée symbionaise de libération, finit par prendre fait et cause pour ses ravisseurs jusqu’à participer à des actions armées).


Le fait est que cette femme, dévouée à la population locale, a dû, en 4 ans de séquestration, développer des mécanismes de survie. Qui peut l’en blâmer ? Il est évidemment pus facile d’avoir de grands principes en étant confortablement installé dans son fauteuil à Paris ou Bruxelles qu’en vivant 4 ans (48 mois, 1 440 jours) aux mains de ravisseurs qui peuvent, à tout moment, décider de vous assassiner.


Donc, ne nous trompons pas : Sophie Pétronin est une victime et il ne nous appartient certainement pas de la juger.


Dernière réflexion : toute ces affaires – qu’il s’agisse des négociations ou de la réaction de l’otage française – est un cas d’école illustrant à quel point les réseaux sociaux peuvent véhiculer le pire et le meilleur : ils permettent à l’information de circuler et d’être partagée par le plus grand nombre mais se transforment trop souvent en « tribunal du peuple » virtuel prononçant, sans aucun « débat contradictoire » ni analyse objective des faits, des condamnations sans appel.

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